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40 ans du Tour de Sol 85  : moteur de l’innovation

En 1984, la SSES a discuté d’une « course de voitures solaires pour promouvoir l’énergie solaire ». Une soixantaine de véhicules ont finalement pris le départ à Romanshorn en 1985. L’intérêt des médias était grand et l’énergie solaire a pu montrer ce qu’elle était déjà capable de faire. Cette course a été l’un des germes du développement du photovoltaïque. Elle a suscité en Suisse un enthousiasme pour l’énergie solaire dont nous aurions bien besoin aujourd’hui.

Texte : Urs Muntwyler/rédaction

Malgré la mort des forêts et la deuxième crise pétrolière, l’énergie solaire ne se portait pas bien au début des années 80. Les quelques entreprises solaires qui subsistaient encore luttaient pour leur survie. En septembre 1984, lors de la réunion du comité du groupe régional Berne-Fribourg-Soleure BEFRISO au secrétariat de la Société suisse pour l’énergie solaire (SSES) à Berne, l’ambiance était donc morose. C’est alors que l’entrepreneur solaire Josef Jenni a lancé son idée d’une course de voitures solaires « comme tournée de promotion de l’énergie solaire ». Markus Heimlicher, secrétaire central de la SSES, et Urs Muntwyler, membre du comité directeur et ingénieur de développement chez Hasler AG, étaient très enthousiastes. Muntwyler revenait tout juste du montage d’une alimentation électrique solaire pour un grand dispensaire au Rwanda. Le projet avait été couronné de succès malgré de nombreuses prédictions négatives, mais les 36 modules PV de 30 Wp utilisés étaient trop chers. Le détour par un marché de masse dans les pays riches et industrialisés devait y remédier. Cette tournée de publicité solaire s’inscrivait donc parfaitement dans cette démarche. Muntwyler a rapidement démissionné de Hasler AG et a ensuite organisé le Tour de Sol de 1985 à 1992.
L’idée du Tour de Sol a mobilisé d’autres membres de BEFRISO et Thomas Nordmann du sud-est de la Suisse. Après une conférence de presse de lancement au Musée des Transports de Lucerne et la présentation du Tour de Sol par Thomas Nordmann dans l’émission de télévision Mensch-Technik-Wissenschaft MTW, le tour de promotion de l’énergie solaire était sur toutes les lèvres. Les inscriptions à la course n’ont d’ailleurs pas tardé à affluer et la question a surgi : « Où peut-on acheter ces ‹ véhicules solaires › ? » Les initiateurs ont alors remarqué que cela allait être un peu plus compliqué que prévu. Urs Muntwyler a donc élaboré un Répertoire des sources d’approvisionnement pour les véhicules solaires et a organisé en février 1985 le congrès Technique des véhicules solaires au restaurant Innere Enge à Berne. Deux « véhicules solaires » de Fritz Plattner et de Josef et Erwin Jenni y étaient déjà présentés comme objets d’exposition. Les médias étaient également invités à cette occasion. Et entre-temps, Markus Heimlicher avait réussi à convaincre la « Schweizer Illustrierte » d’être le sponsor principal de la course. Cela a permis de faire rentrer un peu d’argent dans les caisses, et surtout d’attirer l’attention du public en amont du Tour de Sol 85, la première course de véhicules solaires au monde.

LE RÈGLEMENT TECHNIQUE COMME MOTEUR DE L’INNOVATION

Les véhicules solaires n’étaient pas tout à fait nouveaux. Les initiateurs du Tour de Sol ont fait des recherches dans le monde entier sur toutes les activités correspondantes, comme la traversée de l’Australie de Perth à Sidney par Perkins/Tholstrup en 1982. Ce sont surtout les activités de l’inventeur anglais Alan T. Freeman qui ont séduit Urs Muntwyler. Freeman a construit des voitures et des bateaux solaires semblables à des canoës et publié en 1983 une brochure intitulée « Solar Energy for motive power ». Les initiateurs se sont également inspirés de la scène Human power vehicle (HPV) qui venait de naître, en particulier pour les conditions physiques de calcul de la consommation d’énergie. Les initiateurs du Tour de Sol étaient certains que le bilan énergétique permettrait de traverser la Suisse. Ils ont toutefois été effrayés par un article paru dans la revue de la SSES Energie solaire, rédigé par le futur participant au Tour de Sol 85 Romeo Gridelli (véhicule solaire de course à propulsion auxiliaire) et ses experts. Champion du monde des scooters économiques, l’équipage a calculé la consommation d’énergie pour le trajet de Romanshorn à Genève. Si l’on étudiait leur calcul, qui comprenait également l’accélération et le freinage, le trajet n’était pas du tout possible. Mais Muntwyler a ensuite trouvé l’erreur de calcul dans cette évaluation et le Tour de Sol a dès lors calculé lui-même les bilans énergétiques. En particulier lorsque des trajets un peu plus extravagants ont été envisagés, comme le franchissement de cols et la traversée du Gothard. D’un point de vue pratique, Muntwyler a pu effectuer les calculs dans le cadre de ses cours de physique à l’école professionnelle artisanale et industrielle de Berne (GIBB). Ces apprentis ont donc été les premiers à savoir si l’on pouvait passer par le Gothard – ce qui a été fait lors du 5e Tour de Sol 1989.
Ainsi, en tant que chef technique du Tour de Sol, Muntwyler a élaboré un règlement technique inspiré du Sporting Code for Flight Models de la Fédération Aéronautique Internationale (FAI). Ancien pilote d’aéromodélisme et de vol à voile, à nouveau actif depuis peu, il s’y connaissait en règlements techniques. Les détails étaient réglés. Il s’agissait de garantir d’une part une sécurité minimale et d’autre part des conditions équitables pour tous. Le départ a été donné dans deux catégories :
Voitures solaires de course, avec une puissance solaire de 480 Wp et une batterie d’une capacité maximale de 10 h, soit 4800 Wh. Véhicules solaires de course à propulsion auxiliaire, des pédales par exemple, il fallait installer au moins 120 Wp de modules solaires. Cela permettait de calculer l’énergie disponible pour le parcours de 368 kilomètres avec une montée de 660 mètres.

SPORT AUTOMOBILE OU COURSE DE VÉLO ?

La course devait se dérouler en cinq étapes, du 23 juin au 29 juin 1985, de Romanshorn à Genève. Pour cela, il fallait obtenir des autorisations cantonales et, dans le canton de Zurich, une autorisation de chaque commune traversée. Comme la course devait être chronométrée sur des routes non fermées, il s’agissait d’un « événement sportif motorisé ». De tels événements étaient interdits en Suisse au milieu des années 80. Les organisateurs ont toutefois été aidés par l’évaluation de l’énergie solaire à l’époque. Les policiers ont déclaré : « L’énergie solaire ne fonctionne pas – les véhicules à propulsion auxiliaire ont des pédales – c’est une course de vélo. »

ROUTE TOUR DE SOL 85 – À TRAVERS LA SUISSE

Les lieux d’étape étaient, en Suisse alémanique, le Technorama à Winterthour et Infosolar près du Technikum à Brugg-Windisch. A l’arrivée, les organisateurs avaient un vieux car de tourisme équipé d’une grande installation de haut-parleurs comme bureau de course. Muntwyler l’avait trouvé peu avant le Tour de Sol lors d’une manifestation équestre locale. En Suisse alémanique, la course a attiré de nombreux spectateurs jusqu’à l’arrivée à Bienne. A Romanshorn et en Thurgovie, les médias locaux ont contribué à attirer le public. L’un des journaux avait estimé qu’il était incompréhensible que l’on fasse tant de cas de cette « course de caisses à savon ». L’autre journal qu’« une nouvelle époque allait commencer » à Romanshorn. Résultat de cette différence d’appréciation médiatique : de nombreux spectateurs et spectatrices ont voulu se faire leur propre idée sur place. De plus, la « Schweizer Illustrierte » avait publié un grand reportage préliminaire, ce qui a suscité un grand intérêt du public. En Suisse romande, en revanche, la couverture médiatique a été beaucoup plus faible. Les gens de L’Illustré regardaient par la fenêtre le dimanche et étaient certains qu’avec les perspectives météorologiques plutôt mauvaises, le Tour de Sol 85 serait reporté. En Suisse romande, les sections locales de la SSES se sont engagées pour les lieux d’étape à Neuchâtel, au centre de recherche LESO de l’EPFL et à Genève.

SERVICE MÉTÉO SPÉCIAL DE METEOTEST AG

Pour le service météo, les organisateurs de la course ont fait appel à la start-up bernoise Meteotest AG. Qui a suivi le Tour de Sol avec un véhicule de mesure spécial. Elle a ainsi mesuré entre autres le rayonnement solaire, la vitesse du vent et les températures. Les briefings du matin incluaient les prévisions de rayonnement solaire. C’était important pour la tactique de course des équipes participantes. Ce service de Meteotest AG était probablement une innovation mondiale. Aujourd’hui, on fait la même chose pour les prévisions de production des installations solaires, en particulier pour les grandes installations au sol.

DES PARTICIPANTS INNOVANTS DE TOUS GENRES

Dès la fin de l’émission télévisée Mensch-Technik-Wissenschaft MTW de la télévision suisse, des personnalités connues ont contacté les organisateurs par téléphone. Parmi eux, Romeo Gridelli, chef d’équipe d’un véhicule à faible consommation de carburant, qui avait remporté le titre de champion du monde. Finalement, des véhicules de l’EPF de Zurich, des écoles d’ingénieurs de Rapperswil et de Bienne et de nombreux constructeurs de la scène des électriciens automobiles ont participé. La fabrique de vélos Villiger a participé avec deux véhicules dans la catégorie Véhicules solaires de course à propulsion auxiliaire. La carrosserie a été fournie par Horlacher AG de Möhlin. Les organisateurs ont fait taire les sceptiques – nombreux à l’époque – avec le participant Mercedes-Benz – powered by Alpha Real. Le pionnier suisse de l’énergie solaire Markus Real avait réussi à convaincre Mercedes-Benz de participer au Tour de Sol. Le constructeur allemand partait favorit dans la catégorie Voitures solaires de course. Comme cette catégorie a finalement vu la victoire de Mercedes Benz – powered by Alpha Real, qui ressemblait beaucoup aux Flèches d’argent, les autorités ont révisé leur jugement. Les policiers, l’Office fédéral des routes et les offices cantonaux de la circulation ont alors créé une commission avec laquelle les organisateurs ont parfaitement collaboré lors des autres courses du Tour de Sol. L’objectif de la course a été clairement atteint : les 58 véhicules solaires au départ, une énorme couverture médiatique et de nombreux spectateurs ont apporté à l’utilisation de l’énergie solaire l’attention espérée par les membres du comité BEFRISO.

27 VÉHICULES MALGRÉ UN TEMPS PLUVIEUX, AVEC LE SOLEIL À L’ARRIVÉE

Le temps était mauvais pour la fin juin. A partir de la 2e étape Winterthour–Brugg, le temps s’est de plus en plus couvert. Pendant l’étape la plus longue, de Brugg à Neuchâtel, le temps était pluvieux. Ce n’est qu’à partir du milieu de l’étape Neuchâtel–Lausanne que le temps s’est à nouveau amélioré. C’est ainsi que des caricatures sur le «Tour de pluie» ont été publiées dans les journaux.
En dépit de tous les pronostics pessimistes, douze des 29 voitures solaires de la course ont atteint l’arrivée à Genève. Les organisateurs en attendaient six. Dans la catégorie Véhicules solaires à propulsion auxiliaire, 15 véhicules sont arrivés à Genève. Tous les autres, catégories 1 et 2 ont dû recharger leurs batteries en cours de route à partir du réseau électrique et quelques-uns ont abandonné. La course du Tour de Sol 85 s’est terminée à l’entrée de Genève. Les véhicules solaires ont ensuite été conduits jusqu’au bâtiment d’exposition Palexpo du Salon de l’auto de Genève. Il s’agissait de la dernière exposition automobile à Palexpo Genève avant le déménagement du Salon de l’auto à l’aéroport de Genève.