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Les systèmes de chauffage solaire/glace conquièrent la Suisse

Photo: SPF

La combinaison de collecteurs solaires avec un accumulateur de glace et une pompe à chaleur permet de créer un système de chauffage solaire/glace. Pour rendre ce concept de chauffage plus efficace sur le plan énergétique et plus économique, un nouveau type d’accumulateur de glace a été élaboré à l’École technique de Rapperswil, lequel a été soumis à un essai pratique au cours des trois dernières années dans un bâtiment commercial et résidentiel à Jona (SG). Les résultats du monitoring confirment la fonctionnalité de base du concept, même si les attentes concernant l’efficacité de la production de chaleur n’ont pas été entièrement satisfaites. L’étude d’accompagnement réalisée sur mandat de l’Office fédéral de l’énergie montre des possibilités d’optimisation pour le système de chauffage aujourd’hui en service dans plusieurs bâtiments dans tout le pays.

Texte : Dr Benedikt Vogel, sur mandat de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN)

L’accumulateur de glace se trouve au sous-sol de l’immeuble résidentiel et commercial, à côté du parking souterrain. A gauche, entre le bâtiment et l’arbre, se trouve une lucarne carrée qui permet l’accès pour les révisions. Le bâtiment obtient la chaleur des collecteurs installés sur le toit. Photo: EWJR

Au printemps 2014, la rénovation de deux immeubles de huit étages comptant un total de 273 appartements dans la ville de Genève a été achevée conformément à la norme Minergie P. Les bâtiments ont été équipés de collecteurs solaires non vitrés (1680 m²) dont la production est utilisée soit directement pour le chauffage et la production d’eau chaude sanitaire (ECS) ou portée à la température souhaitée à l’aide de pompes à chaleur. Les deux accumulateurs de glace étaient la véritable innovation du projet encouragé par l’OFEN: la chaleur des collecteurs est stockée provisoirement dans les réservoirs d’eau d’une capacité de 30 m³ avant d’être prélevée par les pompes à chaleur. La quantité de chaleur stockée est suffisante pour couvrir les besoins énergétiques des deux immeubles pendant une journée.

Un accumulateur de glace avec fonction de dégivrage

Même si un accumulateur de glace n’est finalement rien de plus qu’un réservoir rempli d’eau, la mise en œuvre technique présente un certain nombre de défis. L’art et la manière dont les échangeurs de chaleur, qui extraient la chaleur de l’eau, sont disposés à l’intérieur de l’accumulateur de glace est d’une importance capitale. Dans les accumulateurs de glace classiques, les échangeurs de chaleur à l’intérieur du réservoir de stockage prennent beaucoup de place. C’est différent avec le nouveau modèle des chercheurs du SPF, qui a désormais été réalisé à Rapperswil-Jona: ici, les échangeurs de chaleur d’une hauteur de 62 cm sont installés dans un espace compact au fond de l’accumulateur (cf. photo 01). Lors de l’extraction de chaleur en dessous du point de congélation, de la glace se forme sur les échangeurs de chaleur et celle-ci est périodiquement éliminée par le pompage de la saumure chaude (en provenance des collecteurs ou du stockage tampon) à travers les échangeurs de chaleur lorsque la pompe à chaleur est arrêtée. Les plaques de glace se détachent des échangeurs de chaleur et remontent à la surface de l’eau. Elles y remplissent progressivement l’accumulateur de glace par le haut.

Dans le rapport final, les scientifiques décrivent l’utilité de cette méthode de construction de l’accumulateur de glace en ces termes: « Grâce au dégivrage, la puissance d’extraction des échangeurs de chaleur reste élevée et la surface de transfert peut être fortement réduite par rapport à celle des échangeurs de chaleur à accumulateur de glace sur lesquels d’épaisses couches de glace se forment. En outre, comme les plaques de glace flottent il n’est pas nécessaire d’associer le volume complet du réservoir de stockage de glace avec l’échangeur de chaleur de l’accumulateur de glace pour pouvoir extraire la chaleur latente de l’eau. Cela permet de réduire les coûts de matériel et d’installation des échangeurs de chaleur. En raison de la réduction de l’épaisseur maximale de la glace à quelques centimètres, il est possible de fournir de hautes températures proches de 0 °C à la pompe à chaleur, même pendant la formation de la glace. Cela a une influence positive sur le COP (coefficient of performance; c’est-à-dire l’efficacité actuelle de la pompe à chaleur) de la pompe à chaleur.» BV

«Le projet d’assainissement ‹La Cigale› à Genève n’est qu’un prélude pour l’utilisation des accumulateurs de glace. Depuis, la famille des accumulateurs s’est agrandie dans toute la Suisse», se réjouit Wolfgang Thiele, directeur et actionnaire majoritaire de la société Energie Solaire SA (Siders), qui a fourni les collecteurs solaires non vitrés et d’autres composants pour le projet genevois à l’époque. Parallèlement, Energie Solaire fabrique ses propres accumulateurs de glace et commercialise des systèmes complets de chauffage solaire/glace. Au cours des cinq dernières années, la société valaisanne a fourni 22 installations d’une puissance de chauffage pouvant atteindre 500 kW pour des maisons individuelles et des immeubles dans toute la Suisse et une autre en Allemagne. Un système de chauffage solaire/glace d’une puissance de 1400 kW devrait prochainement être réalisé à Genève dans un quartier composé de 44 immeubles et 13 maisons individuelles jumelées.

Schéma hydraulique du système de chauffage par accumulateur de glace solaire (en bref: chauffage solaire/glace) de Rapperswil-Jona: d’une part, les collecteurs solaires fournissent de la chaleur à haute température au réservoir tampon solaire, laquelle peut être utilisée directement pour le chauffage et l’eau chaude sanitaire (ECS). En outre, les collecteurs fournissent de la chaleur à la pompe à chaleur – directement ou via l’accumulateur de glace. La consommation d’électricité des pompes du circuit de chauffage qui répartissent la chaleur de chauffage dans le bâtiment sont prises en compte dans le calcul du coefficient de performance annuel du système. Graphique: Rapport final de l’OFEN

Une nouvelle conception de l’accumulateur de glace

Les accumulateurs de glace ne sont autre que des bacs en béton ou des réservoirs métalliques remplis d’eau. A l’intérieur se trouvent des échangeurs de chaleurs dans lesquels circule un mélange d’eau et d’antigel (saumure) qui extrait la chaleur de l’eau. Cette énergie est ensuite utilisée par une pompe à chaleur qui subvient aux besoins de chauffage et de production d’ECS. Les accumulateurs de glace fonctionnent pendant le semestre hivernal à une température de 0 °C: pendant la « recharge », l’accumulateur de glace absorbe de la chaleur qui fait fondre la glace dans l’accumulateur. Lors de la « décharge » le processus s’inverse: l’eau gèle dans l’accumulateur de glace et libère de la chaleur de solidification, correspondant à la chaleur libérée à l’environnement (la saumure dans le cas présent) lorsque l’eau passe de l’état liquide à zéro degré à l’état solide à zéro degré (glace).

Les échangeurs de chaleur traditionnels remplissent tout l’accumulateur de glace et une épaisse couche de glace se forme sur eux lors de l’extraction de la chaleur. En 2011, des scientifiques de l’Institut de technique solaire (SPF) de l’École technique de Rapperswil (HSR) ont conçu le système de commande ainsi qu’un nouveau genre d’accumulateur de glace dont l’échangeur de chaleur est périodiquement dégivré en cours de fonctionnement. De cette façon, la puissance de transfert des échangeurs de chaleur peut être maintenue à un niveau élevé, l’efficacité du système de chauffage solaire/glace peut être augmentée et les coûts de fabrication réduits (voir encadré 1).

L’accumulateur de glace fonctionne «sans problèmes»

Les collecteurs solaires non vitrés sont équipés par défaut d’une isolation thermique au dos, laquelle doit réduire les pertes de chaleur en cas de hautes températures. Les chercheurs du SPF (sur l’image: le responsable du projet Daniel Philippen) ont pu prouver dans leur étude que renoncer à l’isolation thermique ne réduirait le coefficient de performance que de manière insignifiante mais aurait l’avantage de pouvoir construire des collecteurs plus petits et donc moins chers. Photo: B. Vogel

Un prototype de la nouvelle installation de chauffage a été mis en service en 2012 dans une école maternelle à Rapperswil-Jona. Depuis 2017, un autre système plus perfectionné alimente en chauffage et en ECS un immeuble de quatre étages comprenant sept appartements et une exploitation commerciale (surface totale de référence énergétique de 2050 m2). Le système de chauffage se compose de 120 m² de collecteurs solaires non vitrés, d’une pompe à chaleur saumure-eau à deux niveaux d’une puissance thermique de 45 kW et d’un accumulateur de glace de 210 m³. Les chercheurs du SPF ont évalué le système de chauffage solaire/glace sur une période de deux ans de septembre 2017 à aout 2019 dans le cadre d’un projet de démonstration de l’OFEN. Le rapport final comportant les résultats est disponible depuis peu.

Selon les estimations, le dégivrage des échangeurs de chaleur, et donc la réelle innovation du système de chauffage présenté, fonctionne de manière irréprochable. « Le système a fonctionné sans le moindre problème au cours des deux hivers et est aujourd’hui prêt pour le marché », affirme Daniel Philippen, chercheur du SPF et responsable du projet. Il existe toutefois une réserve: au cours des deux années, l’accumulateur de glace n’a pas exploité tout son potentiel mais a atteint seulement 60% de la production maximale de glace.

Sur la période de chauffage de 2017/18 et 2018/19, la quantité de chaleur fournie au chauffage était nettement inférieure aux valeurs de planification. Graphique: rapport final de l’OFEN

Cela est dû en partie au fait que les besoins de chauffage du bâtiment se sont avérés plus faibles que prévu ainsi qu’au fait que les conditions météorologiques et la répartition des besoins de chauffage pendant les mois hivernaux ont provoqué une diminution de l’extraction de chaleur de l’accumulateur de glace. Pour cette raison, les scientifiques n’ont pas pu vérifier si le détachement de la glace des échangeurs de chaleur fonctionnait également parfaitement dans le cas où l’accumulateur de glace est rempli.

Pendant la première année de mesure, le système de chauffage solaire/glace a consommé plus d’électricité que prévu selon la planification et moins pendant la seconde année. La colonne « Conception » comporte les consommations relatives à la pompe à chaleur/circuit de chauffage, pompe à chaleur/reste et éléments chauffants/accumulateur dans la rubrique « Reste ». Graphique: rapport final de l’OFEN

Potentiel d’amélioration du coefficient de performance annuel

Dans la mesure où un système de chauffage solaire/glace utilise les rendements solaires directement pour l’approvisionnement en chaleur de chauffage et en eau chaude, à haute température également, on s’attend à une grande efficacité énergétique de l’électricité utilisée dans la pompe à chaleur pour l’ensemble du système de chauffage. Dans le cas présent, la valeur de planification calculée pour le coefficient de performance annuel, lequel inclut également la consommation d’électricité pour les pompes de la répartition de la chaleur, est de 4.3. Lors du monitoring sur deux ans, les scientifiques ont constaté un coefficient de performance annuel de 3.5, ce qui est nettement inférieur à la valeur de référence. Les chercheurs voient deux raisons importantes à cela: d’une part, la courbe de chauffe d’origine a dû être augmentée pour compenser les problèmes de répartition de la chaleur de chauffage. D’autre part, l’efficacité réelle de la pompe à chaleur ne correspond pas aux données du fabricant.

Comme ils le mentionnent dans le rapport final, les chercheurs voient un potentiel d’optimisation pour la suite de l’exploitation: « Les simulations indiquent qu’avec une hausse de la température source moyenne de la pompe à chaleur (réduction de l’utilisation des collecteurs en-dessous de 0°), avec une charge plus faible de l’accumulateur de glace en été (temps de fonctionnement réduit de la pompe solaire) et une réduction de la courbe de chauffe de 3 Kelvins, permettrait de faire passer le coefficient de performance annuel à 4.9. » La réduction de la courbe de chauffe sera possible à l’avenir car les problèmes de répartition de la chaleur de chauffage pourraient être résolus entretemps.

Bilan thermique mensuel du système de chauffage solaire/glace pour la deuxième année de mesure (de septembre 2018 à août 2019): les barres rouges montrent les apports thermique de l’accumulateur de glace. Graphique: rapport final de l’OFEN

Une autre découverte de l’étude concerne le circuit d’eau chaude: comme c’est souvent le cas, un chauffage par traçage électrique a été installé pour maintenir une température constante dans les conduites d’eau chaude du bâtiment. En tenant compte de la consommation d’électricité correspondante, le JAZ+ passe de 3.5 à 2.2. Par conséquent, les chercheurs recommandent « vivement » de renoncer à ce type de chauffages lorsque l’approvisionnement en chaleur d’un bâtiment doit consommer peu d’électricité. Il est préférable d’assurer le maintien de la température avec une conduite de circulation dans la mesure où dans ce cas, les collecteurs solaires et la pompe à chaleur peuvent fournir l’énergie nécessaire.

Dr Elimar Frank, responsable du programme de recherche de l’OFEN « Chaleur solaire et stockage de la chaleur », dresse un bilan positif du projet de démonstration à Jona: « L’évaluation détaillée de l’installation a montré que les accumulateurs de glace solaires peuvent contribuer à l’efficacité du chauffage et du rafraichissement des immeubles, notamment lorsque d’autres technologies ne peuvent ou ne doivent pas être utilisées. Pour la diffusion de la technologie, il faut notamment veiller au traitement des données de consommation qui s’écartent des valeurs de planification et à l’optimisation de la consommation d’énergie des groupes auxiliaires ».

Au cours de la deuxième année de mesure (illustration), l’extraction de la chaleur de l’accumulateur de glace a eu lieu principalement au cours des mois de décembre à février. Des apports de chaleur important des collecteurs ont déjà lieu à partir de février, menant à un rechargement du réservoir à accumulateurs de glace. Dans la mesure ou le bac en béton de l’accumulateur de glace est équipé d’une isolation thermique uniquement côté bâtiment, une grande quantité de chaleur se perd dans le sol environnant. Les scientifiques ont estimé ces pertes à 57%. Cependant, une partie de ces pertes (non mesurables) est compensée en hiver en faveur de l’accumulateur, lorsqu’il est plus froid que le sol. Graphique: rapport final de l’OFEN

De nouvelles applications pour les pompes à chaleur

La société Elektrizitätswerk Jona-Rapperswil AG (EWJR) détient le brevet pour le système de chauffage solaire/glace avec un accumulateur de glace dégivrable. La EWJR avait financé le développement de l’École technique de Rapperswil à l’époque. La société Energie Solaire SA utilise ce brevet depuis 2018. Depuis, la société valaisanne a réalisé cinq installations en Suisse. « Ce système a toutes ses chances – à condition de disposer d’un espace suffisant pour l’accumulateur de glace – dans les centres-villes, où les alternatives moins onéreuses comme les sondes géothermiques ou l’utilisation de l’air ambiant à l’aide pompes air/eau ne sont pas autorisées ou souhaitées et où l’utilisation d’un chauffage au gaz est exclue en raison de la problématique du climat », affirme Michael Bätscher, directeur de la EWJR.

Les chercheurs du SPF voient d’autres applications pour l’accumulateur de glace. Une option pour les grands projets consiste à couvrir les charges de pointe avec une chaudière à gaz ou, pendant les hivers particulièrement froids, à réduire la formation de glace dans le réservoir de stockage en utilisant un système de chauffage mobile à pellets de bois, ce qui permettrait de construire un système de chauffage solaire/glace plus petit et moins cher. L’utilisation de collecteurs hybrides produisant de l’électricité en plus de la chaleur est également envisageable. Les scientifiques poursuivent leurs recherches dans le cadre d’un nouveau projet de l’OFEN intitulé « Big Ice ». Sur la base de simulations, ils analysent s’il serait possible de conserver la glace de l’accumulateur de glace en été pour l’utiliser à des fins de climatisation.

 

 

 

Température dans l’accumulateur de glace au cours de l’année, mesurée à quatre hauteurs différentes. La sonde de mesure 1 se trouve dans le sol, la sonde de mesure 4 en haut, sur la surface de l’eau. Dans la mesure où les échangeurs de chaleur sont installés dans le sol, une stratification des températures a lieu en automne en raison de l’extraction de la chaleur. La plus forte production de glace a eu lieu au début du mois de mars. Graphique: Rapport final de l’OFEN

Le rapport final du projet « Système de chauffage basse température à accumulateur de glace avec dégivrage thermique » est disponible sur: https://www.aramis.admin.ch/Texte/?ProjectID=37867

Plus d’informations concernant le projet Big-Ice sur: www.spf.ch/bigice

Daniel Philippen de l’Institut de technique solaire de la HSR et le Dr Elimar Frank, responsable du programme de recherche de l’OFEN « Chaleur solaire et stockage de la chaleur », communiquent des informations supplémentaires sur le projet.