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Le secteur photovoltaïque en pleine mutation : Entre incertitude et perspectives d’avenir

Début juillet, Swissolar a publié les statistiques relatives à l’énergie solaire pour l’année écoulée. Même si le boom s’est quelque peu essoufflé par rapport aux années précédentes, la croissance reste impressionnante. En 2024, elle a augmenté de 10 % par rapport à l’année précédente pour atteindre près de 1800 MW en Suisse.
Mais un net ralentissement se profile. Les fabricants de modules photovoltaïques en Suisse ont déjà réagi. Dans une interview, Patrick Hofer-Noser, propriétaire et PDG de 3S Swiss Solar
Solutions AG, évalue la situation actuelle.

Texte : Beat Kohler

L’année dernière, le secteur solaire a enregistré une croissance du marché pour la septième année consécutive. Au total, à la fin de 2024, des panneaux solaires d’une puissance de 8,2 GW étaient installés en Suisse, couvrant plus de 10 % de la consommation totale d’électricité du pays en 2024. D’un autre côté, depuis le début de cette année, certains fabricants suisses de modules ont fait l’objet de quelques titres négatifs dans la presse. Swissolar ne prévoit pas non plus de perspectives très réjouissantes pour l’année en cours. Cela s’explique par les changements réglementaires importants liés à la nouvelle loi sur l’électricité, qui ne sont pas encore finalisés. L’expérience montre que de tels changements majeurs entraînent temporairement un recul du marché jusqu’à ce que les nouveaux instruments soient bien établis, explique l’association professionnelle. Swissolar prévoit donc un recul du marché d’environ 10 % en 2025, mais avec une augmentation toujours importante d’environ 1600 MW. A partir de 2026, l’association s’attend à ce que le marché se stabilise à nouveau.

Licenciements chez 3S

Cette baisse a eu un impact négatif sur l’entreprise solaire 3S Swiss Solar Solutions, basée à Thoune. Fin avril, celle-ci a annoncé le licenciement de 25 de ses 134 employés. L’entreprise a ainsi réagi à l’évolution de la demande. Les attentes étaient bien sûr différentes après l’ouverture d’une deuxième usine à Worb en janvier 2024 et la perspective d’une croissance plus importante. Mais la croissance a ralenti à partir du milieu de l’année. Outre la pression sur les prix qui règne en Europe et les problèmes dans la chaîne d’approvisionnement, 3S Swiss Solar Solutions a également justifié cette situation par la baisse significative des tarifs de rachat, qui a pesé sur la demande de petites installations solaires. En outre, la demande a globalement diminué, car le changement climatique a récemment perdu de son importance et de son urgence dans le débat public. Dans une interview, Patrick Hofer-Noser, propriétaire et PDG de 3S Swiss Solar Solutions AG, explique comment il évalue la situation actuelle du marché pour le secteur en Europe, en Suisse et pour son entreprise.

Les demandes de rétribution unique auprès de Pronovo sont en baisse constante depuis le début de l’année. Le marché semble ­clairement se refroidir ?
C’est exact. En tant que fabricant, nous avons déjà constaté ce recul au second semestre 2024, car les données de Pronovo accusent toujours un retard de six à huit mois. Entre 2020 et 2023, divers facteurs ont incité de nombreux clients à installer un système photovoltaïque : l’insécurité énergétique et l’augmentation des coûts de l’électricité due à la guerre en Ukraine, les subventions élevées et les rétributions uniques attractives, ainsi que l’augmentation générale des activités de construction et de rénovation. Aujourd’hui, les conditions générales ont changé, ce qui entraîne un ralentissement de la croissance.

Les chiffres se sont-ils stabilisés depuis lors ou ­continuent-ils de baisser ?
Le marché n’est certainement pas sur la voie de la croissance que nous avions imaginée. Nous assistons en partie à un déplacement de la demande, influencé par exemple par des tarifs de rachat plus élevés. Avec nos systèmes BIPV pour toitures et façades, nous sommes toujours sur la bonne voie, mais la situation est devenue nettement plus difficile.

À quoi attribuez-vous principalement ces difficultés ?
La situation mondiale actuelle et les incertitudes économiques freinent considérablement la propension à investir, ce qui se reflète dans le faible taux de rénovation. À cela s’ajoutent des incertitudes réglementaires, comme dans le cas de la loi sur l’électricité, et la lenteur de la mise en œuvre des CEL (communautés électriques locales) et des RCPv (regroupements virtuels dans le cadre de la consommation propre). Le débat sur les nouvelles centrales nucléaires renforce l’incertitude, car les répercussions que cela pourrait avoir sur le marché de l’énergie solaire restent floues. L’adaptation de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire est un exemple particulièrement actuel de l’incertitude liée à la politique.

Dans quelle mesure ?
En principe, les balcons et façades solaires devraient être soumis à déclaration à partir du 1er juillet de cette année et ne plus nécessiter de permis de construire. Mais la modification de la loi sur l’aménagement du territoire a été reportée à la fin de l’année, voire à l’été prochain. Quiconque prévoit actuellement d’installer un tel système doit continuer à demander un permis de construire, ce qui rend le projet plus coûteux, ou attendre que la révision de la loi sur l’aménagement du territoire entre en vigueur.

Quelle influence cela aurait-il sur le secteur si la ­population approuvait la suppression de la valeur ­locative en septembre ?
À mon avis, cela serait désastreux tant pour le secteur que pour le climat. Certes, cela aurait un sens sur le plan économique, mais cela nécessite impérativement des mesures d’accompagnement. Sans celles-ci, je crains qu’il y ait un boom à court terme jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, suivi d’un effondrement du marché encore plus important que celui que nous connaissons actuellement. Il faudrait certainement deux à trois ans pour que le marché se redresse.

Pourriez-vous développer un peu cette idée ?
Si la valeur locative est supprimée, cela aura selon moi pour conséquence que les propriétaires immobiliers n’auront plus d’incitation financière directe à investir dans la rénovation énergétique de leurs biens immobiliers. En effet, la nouvelle réglementation ne précise pas clairement si ces rénovations bénéficieront d’avantages fiscaux au niveau cantonal – elles n’en bénéficieront certainement plus au niveau fédéral. Cela paralysera le marché et compromettra considérablement la réalisation de l’objectif constitutionnel de zéro émission nette d’ici 2050.

Mais l’incertitude ne provient pas uniquement du cadre réglementaire. Beaucoup ont également perdu leur ­intérêt pour le photovoltaïque en raison de la baisse des prix de l’électricité.
C’est un point important. La baisse des prix de l’électricité a en effet une influence considérable sur l’intérêt pour les installations photovoltaïques. Lorsque les prix de l’électricité sont bas, l’incitation financière à investir dans sa propre production d’électricité diminue, car le délai d’amortissement de l’investissement s’allonge. Néanmoins, l’autoconsommation reste toujours rentable, car l’électricité autoproduite ou provenant d’une RCP ou d’une RCPv n’est soumise à aucuns frais de réseau. De plus, il ne faut pas oublier que les installations photovoltaïques offrent également de nombreux avantages à long terme, tels que l’indépendance vis-à-vis des fournisseurs d’énergie et la protection contre les fluctuations futures des prix. Il existe également des raisons climatiques et écologiques d’investir dans l’énergie solaire. L’incertitude est donc compréhensible, mais il convient également de se concentrer sur les avantages à long terme et les développements futurs du marché de l’énergie.

Vos clients partagent-ils cet avis ?
Dans le secteur de niche dans lequel nous évoluons, ce point est en effet moins central. Heureusement, car cette niche est essentielle pour la transition énergétique. Nous assurons la décarbonisation du parc immobilier. Comme nos modules sont avant tout un matériau de construction, ils sont toujours vendus par les couvreurs. Nos clients ne sont pas uniquement motivés par le kilowattheure produit. Il y a des années, nous leur avons dit qu’ils produiraient trop d’électricité en été. Aujourd’hui, les clients me disent qu’ils ont suffisamment d’électricité même par temps brumeux. Ils nous sont reconnaissants de leur avoir recommandé de couvrir tous les côtés du toit de panneaux photovoltaïques. D’autant plus que nos modules fonctionnent encore parfaitement après 25 ans en tant que couverture de toit. Je suis également convaincu qu’ils bénéficient d’avantages en termes de prix. Car il est certain que le système énergétique va connaître des changements considérables au cours des prochaines décennies. Ceux qui équipent tout leur toit de panneaux photovoltaïques réduisent les incertitudes qui en découlent.

Si nous regardons au-delà de votre niche, que faudrait-il pour que la Suisse ou l’Europe puissent à nouveau ­produire de manière rentable des modules solaires ­standard ?
Aujourd’hui, tous les fabricants de modules indépendants qui réussissent encore en Europe opèrent dans le même créneau que nous. Il existe donc des opportunités pour les fabricants européens en dehors des produits de masse purs. Nous devons nous différencier par une meilleure qualité, un meilleur bilan climatique dans la production et une meilleure fonctionnalité.

Une aide publique est donc nécessaire pour que des ­modules standard puissent également être produits ici ?
Oui, dans la situation économique actuelle, un soutien ­politique est nécessaire pour produire de manière rentable. L’UE a récemment adopté de nouvelles législations qui permettent de soutenir directement l’industrie. En conséquence, certains fabricants européens ont repris la production, car ils peuvent désormais obtenir des prix plus élevés pour leurs produits.

Est-il judicieux et nécessaire de produire de tels ­modules standard en Europe ?
En ce qui concerne la transition énergétique, il n’est pas déterminant à court terme qu’un module provienne de Chine ou d’Europe. A long terme, cependant, cela revêt une grande importance, notamment en termes de sécurité d’approvisionnement. Si l’Europe ne dispose plus de ses propres capacités de production, elle deviendra vulnérable au chantage, car les fournisseurs pourront augmenter les prix à leur guise. Au plus tard dans 20 ans, lorsque les premières installations devront être remplacées, cette dépendance deviendra un problème. C’est pourquoi je voudrais contredire le conseiller fédéral Rösti, qui a déclaré à la SRF qu’il serait possible de reconstruire l’industrie plus tard. Il est essentiel de ramener l’ensemble de la chaîne de valeur en Europe. Cela ne peut réussir qu’avec une politique industrielle européenne ciblée.

Qu’attendez-vous de la politique suisse si l’UE décide désormais de soutenir les fabricants ?
Il est essentiel que la Suisse ne soit pas désavantagée en termes de règles et de conditions de concurrence. Je ne réclame pas de subventions, mais si seuls les fabricants européens sont pris en considération dans les appels d’offres en Europe, la Suisse doit pouvoir jouer à armes égales. En Autriche, nous avons déjà connu ce type de distorsion, que nous avons pu corriger grâce au soutien du SECO et du DFAE. Pour les entreprises qui, comme 3S, produisent à 100 % en Suisse, une telle inégalité de traitement peut en fait signifier une exclusion du marché. C’est pourquoi nous devons veiller à ce qu’il n’y ait pas d’autres distorsions du marché en Europe, comme celles que nous connaissons déjà en ce qui concerne la Chine.

Et si cela ne se produit pas ?
Il serait alors clair pour moi que nous ne pourrions pas continuer à développer la production en Suisse. Je reste néanmoins convaincu que le photovoltaïque s’imposera à long terme, avec ou sans soutien politique. Il est essentiel que chacun puisse continuer à utiliser son propre courant solaire et que le soleil ne soit pas taxé. J’y crois fermement, car le photovoltaïque est tout simplement pertinent et tourné vers l’avenir.

Mais les responsables politiques ne semblent pas suivre cette logique actuellement, ou ne la reconnaissent-ils pas ?
Je pense qu’à long terme, les responsables politiques suivront cette logique. Il est essentiel que nous ne nous laissions pas déstabiliser maintenant et que nous ne mettions pas inutilement en péril l’ensemble du secteur. Au plus tard lorsque la discussion sur les subventions pour la construction de nouvelles centrales nucléaires sera lancée – une technologie qui, en raison de sa flexibilité limitée, ne peut pas être adaptée de manière dynamique à la demande –, la supériorité du photovoltaïque deviendra encore plus évidente.

Et comment votre entreprise va-t-elle surmonter cette période de récession jusqu’à la prochaine reprise ?
Au cours des derniers mois, nous avons pris diverses ­mesures afin de mieux cibler les activités de 3S. À l’avenir, nous nous positionnerons systématiquement comme un fournisseur haut de gamme de solutions globales pour l’intégration dans les bâtiments : en plus des systèmes 3S en toiture et 3S de façade, les packs de services prévus comprendront désormais des outils numériques qui simplifient la planification et facilitent la surveillance et la maintenance à long terme. Nous voulons ainsi poursuivre la success story de l’entreprise en tant que moteur d’innovation et pionnier du solaire.

Mais dans l’opinion publique, nombreux sont ceux qui ne semblent pas reconnaître la nécessité du développement de l’énergie solaire pour la transition énergétique ?
La transition énergétique est aussi une transition climatique, mais cela n’est souvent pas suffisamment pris en compte. Trop de gens pensent que le changement climatique ne nous concerne pas directement et qu’il s’agit d’un problème lointain. Or, en Suisse, nous produisons trois fois plus de CO2 par habitant que la moyenne mondiale, notamment en raison des biens importés. Nous faisons donc partie du problème et devons également faire partie de la solution.

Pourquoi les Suisses ne se considèrent-ils pas comme partie prenante du problème, alors qu’ils s’opposent ­farouchement à des solutions telles que les nouvelles installations solaires ?
Parce que c’est une vérité dérangeante et que les changements sont souvent difficiles à accepter. En Suisse, nous avons généralement une forte tradition de stabilité, ce qui rend l’acceptation des changements difficile. Mais le changement climatique nous montre déjà à quel point il est urgent de changer quelque chose. Lorsque les montagnes s’effondrent et que les centrales thermiques ne fonctionnent plus parce que les rivières sont trop chaudes, le changement devient inévitable et nous concerne tous. Le photovoltaïque jouera un rôle-clé dans la production d’électricité et la décarbonisation du parc immobilier et constitue un pilier essentiel de la transition énergétique et climatique. Cette évolution offre également des opportunités d’emplois locaux et pérennes. La question est de savoir si nous sommes prêts, en tant que société, à franchir ce pas – et je suis convaincu que nous le ferons afin d’assurer un avenir durable pour nous tous.

www.3s-solar.swiss

Marasme pour l’ancien fleuron

L’ambiance morose semble avoir eu un impact considérable sur les fabricants de modules solaires. En mai dernier, Meyer Burger Technology AG, qui est en difficulté depuis un certain temps déjà et qui n’a manifestement pas pu profiter autant qu’elle l’aurait souhaité du boom, a fait les gros titres dans le secteur solaire. Ses filiales allemandes, Meyer Burger (Industries) GmbH et Meyer Burger (Germany) GmbH, ont déposé une demande d’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. Dans le cadre de cette procédure, les efforts se poursuivront pour maintenir les sites en activité. La production dans les usines allemandes est suspendue, ce qui touche environ 600 employés. Fin juin, l’entreprise a également déposé une demande de procédure d’insolvabilité afin d’assainir sa filiale américaine. La filiale Meyer Burger (Switzerland) AG, qui emploie environ 60 personnes à Thoune, devrait être maintenue. Le principal problème pour l’ensemble du groupe reste le besoin élevé en capitaux pour la restructuration. Compte tenu du mécontentement des actionnaires face aux pertes enregistrées jusqu’à présent, il n’est pas facile de se procurer ces capitaux. Depuis début juillet 2025, Franz Richter a été nommé président unique du conseil d’administration par le tribunal régional de l’Oberland bernois afin de garantir la capacité d’action de l’entreprise. Cela montre à quel point la situation de l’entreprise est critique. Le tribunal est intervenu après que l’assemblée générale extraordinaire prévue a dû être reportée. Le délai de publication du rapport annuel 2024 a été prolongé jusqu’à fin juillet 2025. L’avenir de l’entreprise est très incertain.